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Carte blanche à Philippe Moati : 2019, des tensions dans la consommation…

6 février 2019 Pas de commentaire

Philippe Moati est économiste et co-président de l’Obsoco (Observatoire société et consommation). Cette société d’études et de conseil en stratégie a pour vocation d’analyser les grandes mutations de la consommation, du commerce et de l’organisation des marchés de consommation, en s’appuyant notamment sur ses liens étroits avec le monde et la recherche universitaires. Avec son équipe de collaborateurs, experts en sciences sociales, en économie et en marketing, elle assure des missions diverses et variées : mise en place de dispositifs d’observation des transformations en cours, réalisation de diagnostics, d’études quantitatives et qualitatives, élaboration de nouveaux concepts et de grilles d’analyse facilitant la compréhension des nouvelles réalités, conseil et accompagnement des acteurs privés et publics. 2019, des tensions dans la consommation, analyse-t-il dans la dernière newsletter de l’Obsoco. Philippe Moati a bien voulu partager son édito avec l’Actu spa & bien-être. Carte blanche…

« 2019 s’ouvre sur fond d’une crise sociale profonde. Une partie de la masse silencieuse, qui se sent victime d’une marche du monde dont le sens fait défaut, a pris bruyamment la parole. Elle nous rappelle les marques profondes que la sélectivité de la géographie de la mondialisation/métropolisation inflige au territoire national, et qui se manifestent dans l’univers de la consommation par ces villes moyennes dont l’appareil commercial est en déliquescence. Elle nous rappelle également que, si nous avons la chance de vivre dans un pays où les inégalités sont relativement contenues et ne semblent pas en voie d’approfondissement, 5 millions de Français (soit 8 % de la population) vivent avec moins de 855 euros par mois.

Mais cette crise sociale nous dit surtout à quel point la crise de la modernité est profonde. La civilisation occidentale s’est bâtie sur l’idée de progrès, cette perspective d’une amélioration continue de la condition humaine au moyen du règne de la raison et de l’accès à la connaissance. Selon l’Eurobaromètre de la Commission européenne réalisé au printemps 2018, 68 % de Français estimaient que les enfants d’aujourd’hui auront une vie plus difficile que pour ceux de leur génération. Cette difficulté de se projeter dans un avenir désirable rend nostalgique d’un passé idéalisé, qui s’illustre par le fait que 69 % des Français interrogés par Ipsos en juillet 2018 estimaient que « en France, c’était mieux avant ». Ne payons-nous pas ici le prix d’une mondialisation débridée, d’un affaiblissement des capacités de régulation des États, qui font douter que la croissance économique engendre spontanément le progrès social ?

Cette perte de confiance dans la fameuse « main invisible » s’illustre dans nos enquêtes par la défiance considérable qui affecte les grands acteurs de l’économie : les grandes entreprises, les grandes marques, les enseignes de la grande distribution, alors que les Français plébiscitent les petits producteurs, les « paysans », les artisans, les petits commerçants… Le sentiment de subir une diminution de leur niveau vie est exprimé par une très large majorité de Français, bien au-delà des « pauvres » ou des demandeurs d’emploi. C’est la promesse de la société de consommation – de permettre à chacun de gravir, pas à pas, l’échelle des plaisirs et du bonheur – qui se trouve ainsi mise à mal. Et pourtant… L’INSEE mesure un pouvoir d’achat et un niveau de vie en progression (lente) continue, avec même une accélération depuis 2014, y compris pour les catégories les plus défavorisées. En 20 ans, entre 1996 et 2016, le niveau de vie médian en France a progressé de près de 20 %.

La crise des « gilets jaunes » nous met ainsi face aux contradictions fondamentales de la société d’hyperconsommation contemporaine. En contribuant à la perte d’influence des idéologies, des traditions, des « grands récits », pour faire régner sans partage les valeurs matérialistes, individualistes et hédonistes associées à la culture consumériste, elle a sacrifié la « soif d’idéal », et rendu dépendant le bonheur individuel de la capacité d’accès aux délices de la consommation. Grâce, notamment, au renfort du numérique (nouveaux médias, nouveaux outils), la capacité d’attiser le désir de consommer n’a jamais sans doute été aussi puissante, faisant croître un « vouloir d’achat » à un rythme bien plus rapide que celui de la croissance du pouvoir d’achat de l’essentiel de la population. Comment faire tenir une société de consommateurs, devenue experte dans la stimulation du désir de consommer, mais chiche dans la distribution des moyens permettant de l’assouvir ?… »

Philippe Moati

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